[Portrait] Esther de Climmer, « Safran » à Roubaix
Publié le 30 avril 2025|

Esther de Climmer dirige La Grand-Plage, médiathèque ouverte, vivante et ancrée dans la ville. Pour avoir insufflé une dynamique nouvelle à cet équipement municipal et pour saluer son parcours professionnel au service de la lecture publique et de la préservation du Patrimoine, elle a récemment été faite Chevalier dans l'Ordre des Arts et des Lettres.
Bio Express
- 1984 : « Pas Orwell… – Arrivée en Israël »
- 1991 : « Retour en France, à la Bibliothèque nationale. Une certaine façon d’exercer le métier de bibliothécaire (après mon passage en BU) dans un cadre unique et exceptionnel »
- 1995 : « Arrivée à Roubaix, une autre façon d’exercer le même métier dans un cadre différent, tout aussi unique, plus exigeant»
- 2003 : « Le défi de la direction, la feuille de route du maire de l’époque : réveillez la belle endormie ! »
- 2015 : « La Grand-Plage, notre bonne vieille médiathèque entre dans le 21e siècle »
Si on vous dit « Bibliothèque » et « Bibliothécaire » à quoi pensez-vous ? Des rayonnages imposants, une obscurité poussiéreuse, des figures austères qui imposent le silence… Or en entrant à la Médiathèque de Roubaix, la bien nommée « La Grand-Plage », on est saisi par l’espace, la lumière, les couleurs. On vient y lire et travailler, bien sûr, mais on s’y pose et on y cause, parfois même au soleil, sur la terrasse ou au Café. A la tête de la sympathique équipe en marinière qui vous accueille et vous conseille, Esther de Climmer, directrice depuis 2003, a insufflé une dynamique nouvelle à cet équipement municipal. Pour saluer son parcours professionnel au service de la lecture publique et de la préservation du Patrimoine, elle a récemment été faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
En 1972, dans le morceau « Tumbling Dice », les Rolling Stones chantaient : « Always in a hurry, I never stop to worry, don’t see the time flashin’ by » (« Toujours pressé, je n’ai pas le temps de m’en faire, je ne vois pas le temps passer… »). C’est le morceau préféré d’Esther de Climmer, fan du groupe depuis toujours. Ce texte écrit par Mick Jagger (lui aussi Chevalier… de la Couronne britannique !), résonne bien à la lecture des étapes de la carrière de la directrice de « La Grand-Plage ». Depuis ses débuts en Israël jusqu’à la médiathèque de Roubaix, en passant par la Bibliothèque nationale de France, elle a accompagné les évolutions rapides et spectaculaires du monde des bibliothèques. Un monde qu’elle ne découvre pourtant que sur le tard.
Etudiante à Jussieu, passionnée d’Histoire, ce sont les soubresauts de celle-ci qui l’amènent en Israël, au début des années 80, où commence sa vie professionnelle, après une reprise d’étude pour devenir « safran » (mot hébreu qui signifie bibliothécaire). Elle exerce à la bibliothèque de sciences sociales de l’Université de Tel Aviv. Elle y apprend toutes les facette de ce métier et y trouve le « feu sacré », celui qui l’anime encore : le service et l’accueil du public.
« Je suis bibliothécaire, je suis jardinière, je suis tricoteuse, je suis promeneuse, j’aime les animaux, je suis lectrice… »
De retour en France, au début des années 90, elle intègre le Centre de coordination bibliographique et technique de la nouvelle Bibliothèque nationale de France: « C’était un peu étrange de passer d’une vie dans l’Orient lointain et sauvage, où les cultures et les mœurs sont parfois un peu rudes, à ce milieu extraordinaire, splendide, la Bibliothèque nationale, le centre de Paris, le Palais Royal, le musée du Louvre… Un monde policé et courtois, où j’ai passé de très belles années, mais où je m’ennuyais un peu dans un boulot très scientifique où on ne voyait jamais le public … »
En 1995, à la recherche d’un poste dans le Nord, elle va intégrer la médiathèque de Roubaix en tant que responsable des collections audiovisuelles et patrimoniales. Sur la petite annonce d’époque, elle a souligné une qualité requise : « diplomatie ». Quel souvenir garde-t-elle de sa première rencontre avec Roubaix ? « J’ai passé l’entretien sans trop y croire… J’avais visité Roubaix la veille, un week-end d’octobre tristounet. La Grand Place était en travaux, des trous et du goudron partout. J’arrive devant cette grande bibliothèque, fermée. Il pleuvait. Mais l’entretien se passe bien et le soir même, on m’appelait pour me dire que c’était bon… Et là, vraiment, je commence à me réinterroger : quitter Paris, la Bibliothèque Nationale… je n’étais plus très sûre. Finalement, je suis arrivée 3 mois plus tard, et j’y suis toujours, 30 ans après. »

En charge du pôle patrimoine, elle va découvrir l’histoire de la ville, pour la comprendre et s’y enraciner. Nommée Conservateur (« Un mot important pour moi : collecter, conserver, transmettre, ça fait partie des choses qui font le bonheur de ce métier »), elle joue un rôle clé dans l’informatisation des services et le décloisonnement des différents départements, à une époque où il faut dépoussiérer les méthodes et les usages hérités des années 70.
Réveiller la belle endormie
En 2003, elle se voit confier la direction de l’établissement et s’attelle à structurer et rendre plus qualitative la programmation culturelle, toujours au service des publics : « Une médiathèque, ce n’est pas uniquement des livres, ce sont des livres ET des lecteurs. Ce sont des publics. ». A Roubaix, où les réalités sociales sont parfois dures, où cohabitent de nombreuses cultures et où les inégalités peuvent peser, elle développe des actions « hors les murs » pour aller à la rencontre des publics éloignés de la culture. Le « Zèbre » remplace alors le vieux bibliobus, et bientôt « La Sardine », le mobilivre, viendra le rejoindre pour sillonner les quartiers.
Parmi les projets dont elle est fière, il y a l’action « Livre comme l’air » entre 2001 et 2011, dans le cadre du contrat « Ville Lecture » visant à promouvoir la lecture publique à Roubaix. « Un travail continu avec les écoles et un auteur-illustrateur qui nous suivait pendant toute l’année, jusqu’au dernier dimanche de juin, où on faisait la fête du livre dans le square Catteau ». Elle souligne la chance d’avoir auprès d’elle des équipes composées de professionnels à la fois très impliqués et très sérieux dans leur domaine. Des collègues en qui elle a toute confiance et qui lui permettent de se concentrer d’une part sur l’évolution de l’organisation et de l’autre sur des problématiques de conservation de documents anciens, et de constitution du patrimoine documentaire.

Une mission qu’elle va entreprendre dès 2010, où elle intègre les archives municipales à l’organigramme de la médiathèque, posant ainsi les bases de La Grand-Plage. Elle initie également la création de la Bibliothèque Numérique de Roubaix ( voir le site : Bn-r ) en 2008, facilitant l’accès en ligne aux documents patrimoniaux et archivistiques de la ville.
Une mission qu’elle continue de porter avec énergie, en posant les jalons de « La Grand-Plage 2030« , projet de mise aux normes des archives municipales et de leur relocalisation dans un nouveau bâtiment attenant à la médiathèque. « Avec cette extension c’est presque 700 mètres carrés qu’on peut redonner au public et ainsi augmenter, et enrichir les services.» nous confie-t-elle avec enthousiasme.
En 2022, elle pilotera le projet d’ouverture de la médiathèque le dimanche, augmentant ainsi l’amplitude horaire à 54 heures par semaine. Cette initiative, véritable succès qui rencontre une très forte adhésion chez les Roubaisiens a été construite avec l’ensemble du personnel de la Médiathèque. Ce personnel qu’elle a tenu à associer à l’honneur de recevoir le titre de Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
« Always in a hurry, I never stop to worry, don’t see the time flashin’ by » (« Toujours pressé, je n’ai pas le temps de m’en faire, je ne vois pas le temps passer… ») chantait Mick Jagger en 1972. En 2025, après 30 ans à Roubaix, pas de lassitude pour Esther ? « Je ne me suis absolument jamais ennuyée un quart de seconde ici. J’ai toujours l’impression qu’on a des montagnes à gravir, des choses à faire, à inventer et à réinventer. Je n’ai jamais eu envie de partir. Je passe une grande partie de ma journée dans cette Médiathèque, autant que j’en sois entièrement et concrètement, du premier moment au dernier moment, satisfaite. Et c’est le cas. Je fais partie des gens heureux, heureux au boulot. »
Ses coups de cœur
- Le livre d’heures d’Isabeau de Roubaix : « LE trésor des collections de la ville, un manuscrit précieux du 15e siècle conservé à la médiathèque ; un livre de prières sur parchemin et agrémenté de 16 enluminures remarquables, propriété d’Isabeau de Roubaix (1434-1502), fille de Pierre (1415-1498). Il est consultable sur la Bibliothèque numérique de Roubaix »
- La Bn-R (www.bn-r.fr) :« Elle rassemble une diversité incroyable de documents numérisés (manuscrits, cartes postales, lettres à entêtes, chansons, journaux, archives privées et publiques), la porte d’entrée vers le patrimoine documentaire roubaisien. »
- Le square Catteau : « Pour sa beauté, sa discrétion, sa population de poules, de coqs chantants et de chats mais encore pour avoir accueilli 10 ans durant de 2001 à 2011, la plus originale fête du livre organisée par la médiathèque : « Livre comme l’air » avec chaque année des auteurs illustrateurs invités inspirants. »